Burundi : une enquête de l'ONU réclame une action forte au vu des violations graves, généralisées et systémiques
Le rapport final de l'Enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) publié mardi décrit d'abondantes preuves de violations graves des droits de l'homme par le gouvernement et des personnes qui lui sont associées, violations qui pourraient constituer des crimes contre l'humanité.
Au vu de leurs enquêtes qui « suggèrent des schémas de violations généralisées et systémiques », de l'histoire de violence inter-ethnique et d'impunité du pays et du danger d'une spirale de violence à grande échelle, les experts ont exhorté le gouvernement du Burundi, l'Union africaine, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le Conseil de sécurité et d'autres acteurs internationaux à prendre une série de mesures robustes afin de préserver les réalisations obtenues dans le cadre des Accords d'Arusha et de la Constitution de 2005, qui ont conduit à la plus longue période de paix que le Burundi ait connue depuis son indépendance.
Parmi celles-ci figurent la mise en place immédiate d'une commission d'enquête internationale, l'implication d'autres procédures judiciaires indépendantes internationales, le réexamen de l'appartenance du Burundi au Conseil des droits de l'homme et l'invocation possible du Chapitre VII de la Charte des Nations, si les violations continuent et si le gouvernement continue à ne pas se conformer à la résolution du Conseil de sécurité du 29 juillet 2016 autorisant le déploiement d'une force de police de l'ONU.
Les schémas de violations suggérant de manière claire qu'elles sont délibérées et le fruit de décisions conscientes, il est du pouvoir du gouvernement de les arrêter, ont dit les experts. Tout en notant le « déni général » par le gouvernement burundais de presque toutes les violations des droits de l'homme présumées et la difficulté de quantifier avec exactitude l'ensemble des violations qui ont été commises et pourraient continuer à être commises dans un « contexte aussi fermé et répressif que celui du Burundi », l'enquête a documenté des centaines de cas d'exécutions sommaires, d'assassinats ciblés, de détention arbitraire, de torture et de violence sexuelle.
Des exécutions ont été commises à grande échelle par les forces de sécurité, souvent avec le soutien du mouvement de jeunes du parti au pouvoir, connu sous le nom d'Imbonerakure, indique le rapport, qui ajoute que la majorité des victimes étaient opposées, ou perçues comme étant opposées au troisième mandat du Président Nkurunziza. Le rapport fait référence au témoignage d'un ancien officier supérieur des Forces de défense nationale, qui a confirmé l'existence de plusieurs listes de personnes devant être éliminées par les forces de sécurité, et note que de nombreuses sources évoquent l'existence de fosses communes.
Les disparitions forcées sont une autre caractéristique de la crise, indique le rapport, avec des informations de témoins, dont des noms, concernant l'existence d'un groupe de douze membres haut placés du gouvernement et agents du Service national de renseignements (SNR), de la police et de l'armée qui « seraient responsables de nombreux cas de disparitions forcées, et qui relèveraient directement du cercle intérieur de l'exécutif. »
Les membres de la société civile, en particulier les défenseurs des droits de l'homme et les journalistes, ont été les principales cibles de la répression systématique par les autorités, mais il n'y a pas non plus de place pour les opinions divergentes au sein du cercle gouvernemental ou du parti au pouvoir, indique le rapport, qui ajoute qu' « il y a des signes inquiétants du développement d'un culte de la personnalité autour du président. »
L'EINUB a interviewé des témoins et des victimes qui ont identifié l'emplacement de nombreux lieux de détention non officiels, y compris dans des propriétés appartenant à des hauts responsables du gouvernement, dans des locaux secrets du SNR, à la permanence du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, à Ngagara, et dans de nombreux autres lieux, y compris deux bars et dans un bâtiment d'une entreprise de production et de distribution d'eau.
Le rapport documente aussi le recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements. Des éléments du SNR, de la police, des Imbonerakure et, dans une moindre mesure, de l'armée, sont « identifiés comme les auteurs, et certaines personnes, y compris de hauts responsables de l'appareil de sécurité, ont été citées à plusieurs reprises », précise-t-il. Le rapport détaille 17 formes de torture et mauvais traitements qui ont été décrites aux enquêteurs de l'ONU, y compris la fixation de poids aux testicules de la victime, le broyage des doigts et des orteils avec une pince, des brûlures progressives au chalumeau ou être forcé à s'asseoir sur de l'acide, du verre brisé ou des clous.
L'équipe d'enquêteurs onusiens a aussi identifié un schéma de violence sexuelle et basée sur le genre, y compris via de nombreux rapports faisant état de violence sexuelle contre des filles et des femmes qui tentaient de fuir le pays. D'autres victimes auraient été prises pour cible car elles avaient « des liens avec des hommes qui se sont opposés au troisième mandat, ou perçus comme des dissidents politiques ». L'équipe a aussi documenté des cas de mutilations sexuelles extrêmes et des allégations de violence sexuelle contre des hommes, en particulier en détention.
« Tout semblant d'opposition au gouvernement est traité impitoyablement et apparemment sans peur d'avoir à rendre des comptes », indique le rapport, tout en notant que « les mécanismes de reddition des comptes sont excessivement faibles et l'impunité est endémique ». Trois commissions nationales d'enquête sur les atteintes aux droits de l'homme mises sur place par les autorités n'ont abouti à rien.
« L'EINUB regrette que la pratique de mettre en place des commissions d'enquête semble être un moyen pour les autorités burundaises d'éviter que les agents de l'État auteurs de violations graves des droits de l'homme ne rendent des comptes », déclare le rapport. La crise actuelle « a renforcé la domination systématique et institutionnelle préexistante du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire ».
« Au vu de l'inefficacité des institutions de reddition des comptes mises en place par le gouvernement, des procédures judiciaires internationales indépendantes devraient déterminer si des crimes internationaux ont été commis », indique le rapport.
« Nous sommes gravement préoccupés par la tendance générale à l'utilisation d'une rhétorique de division ethnique par le gouvernement, et par d'autres, qui pourrait entrainer la situation dans une spirale incontrôlable, y compris au-delà des frontières du Burundi », ont dit les experts. Le rapport met aussi en exergue le déplacement en masse de près de 400 000 personnes devenues des réfugiés et des personnes déplacées internes, et l'impact dévastateur de la crise sur le système économique et social du pays.
Exprimant « leur crainte concernant la menace potentielle à la paix et à la sécurité dans la région des Grands Lacs », les experts indépendants ont demandé « aux Nations Unies, en particulier au Conseil de sécurité, de s'acquitter efficacement de son mandat de maintien de la paix et de la sécurité et… de protéger les populations civiles des menaces de violence physique, sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. »
Ils ont aussi recommandé que le Conseil des droits de l'homme considère « si le Burundi peut rester membre du Conseil » si la situation prévalant dans le pays ne change pas drastiquement et que les violations qui ont été commises ne sont pas traitées d'une manière appropriée.
Le rapport complet sera présenté par les experts de l'Enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi devant le Conseil des droits de l'homme le mardi 27 septembre 2016.
Les trois experts indépendants nommés pour mener cette enquête sont Christof Heyns, la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires (Président); Maya Sahli-Fadel, le Rapporteur spécial de l'Union africaine sur les réfugiés, les demandeurs d'asile, les migrants et les personnes déplacées; et Pablo de Greiff, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion de la vérité, la justice, la réparation et des garanties de non-répétition.