Libye : la relance du processus politique redonne espoir à un pays « atomisé » par des « agendas concurrents » (ONU)
En l'absence d'un processus politique couronné de succès, la reconstitution d'un État en Libye serait condamnée à n'être qu'une entreprise « sisyphéenne », a déclaré jeudi le Représentant spécial du Secrétaire général pour le pays, Ghassan Salamé, lors d'une intervention au Conseil de sécurité en présence des Ministres des affaires étrangères italien et libyen.
« Le cas libyen peut paraître simple. En l'absence de divisions ethniques ou confessionnelles profondes, et avec un niveau d'éducation élevé et des ressources naturelles abondantes, ce pays n'est pas confronté aux défis qui se posent ailleurs », a-t-il analysé.
Il est pourtant divisé « au niveau atomique » et miné par une « explosion d'agendas individuels concurrents » depuis la chute du régime Kadhafi en 2011, a-t-il expliqué.
Faire émerger des institutions nationales « incontestables »
Devant le Conseil, M. Salamé s'est félicité des progrès accomplis dans la mise en œuvre du Plan d'action des Nations Unies pour la Libye en vue de la reprise d'un « processus politique sans exclusive pris en main par les Libyens » sous l'égide de l'Organisation, un document présenté par M. Salamé à New York, le 20 septembre 2017.
Sous son impulsion, deux sessions du Comité de rédaction mixte –; composé de membres de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d'État –;, ont été convoquées à Tunis pour convenir d'une série d'amendements à l'Accord politique libyen de Shkirat.
Autre aspect positif selon M. Salamé, l'état d'avancement des préparatifs de la Conférence nationale, « al-Multaqa al-Watani », prévue en février 2018, peut-être en Libye. Une manifestation qui donnera à tous les Libyens l'occasion de façonner leur « récit national commun » et de s'entendre sur les étapes à suivre pour mettre fin à la transition, a annoncé le Chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL).
Un objectif indispensable à la lumière des menaces renouvelées à l'unité nationale que brandissent les « autorités parallèles », a rappelé M. Salamé, pour qui les futures élections ne doivent pas déboucher sur l'émergence d'un « troisième parlement » ou d'un « quatrième gouvernement », mais sur des institutions nationales « incontestables ». Dans ce contexte, il a salué le projet préliminaire de constitution qui vient d'être achevé par l'Assemblée libyenne de rédaction, en dépit de « pressions » et « menaces ».
Apportant son soutien à l'organisation d'un référendum sur la Constitution l'an prochain, le chef de la diplomatie libyenne, Mohamed T. H. Siala, a en outre appelé toutes les forces armées de son pays à se placer sous le contrôle des autorités civiles. Il a salué sur ce point l'initiative de l'Égypte, qui a annoncé avoir reçu fin octobre une délégation de militaires visant à faciliter le dialogue entre les factions rivales.
Le Ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale de l'Italie, Angelino Alfano, a lui aussi souligné l'importance de placer les forces de sécurité libyennes sous le commandement du Conseil de la présidence. « La construction d'une architecture nationale unifiée sous l'autorité du pouvoir civil est une priorité absolue en Libye », a souligné le représentant de la France. Dans le cadre du Plan d'action, a assuré M. Salamé, la MANUL coopère étroitement d'ailleurs avec l'Armée pour lui permettre de sécuriser la capitale plus efficacement.
« Des crimes de plus en plus odieux commis quotidiennement »
En Libye, l'« impunité » et l'« anarchie » continuent de prévaloir. Sur l'ensemble du territoire, des « crimes de plus en plus odieux » sont commis « quotidiennement », a déploré le Représentant spécial, qui a évoqué la découverte, le 26 octobre, de 36 cadavres à al-Abyar, près de Benghazi, ou encore la mort d'une famille à la périphérie de la ville assiégée de Derna, victime d'une frappe aérienne dans ce qui s'apparente à un « crime de guerre ».
Le Ministre libyen a relayé au Conseil l'appel du Gouvernement d'entente nationale de l'aider à enquêter sur cet incident et à poursuivre ses auteurs en justice, ainsi qu'à lever le siège de Derna. « Si les Libyens seuls ne peuvent lutter contre l'impunité pour crimes de guerre, alors la communauté internationale devra envisager des mécanismes à cet effet, y compris en faisant appel à des juridictions hybrides », a suggéré pour sa part M. Salamé.
Préoccupé par le sort des migrants qui transitent par la Libye, le chef de la MANUL a énuméré un véritable catalogue de violations, « violences extrêmes, actes de torture, viols, homicides, extorsions, travaux forcés », parmi d'autres graves abus perpétrés à l'intérieur et à l'extérieur des lieux de détention officiels. « Le déclin des flux migratoires en provenance de Libye est important, mais il ne saurait se faire au détriment du respect des droits de l'homme », a résumé le Ministre italien.
Des milliards de dollars perdus dans des transferts d'argent illicites
Pour le Représentant spécial, une « économie de prédation » s'est mise en place en Libye qui est confrontée à une érosion de ses actifs gelés. Le pays est visé par un régime de sanctions imposé par le Conseil de sécurité en vertu de la résolution 1970 (2011), mais l'embargo sur les armes reste largement inappliqué, selon l'Éthiopie, la Russie, le Royaume-Uni et l'Uruguay.
En Libye, a expliqué le chef de la MANUL, l'« économie informelle » et le « marché noir » prospèrent, des milliards de dollars étant perdus chaque année dans des « transferts d'argent illicites » et le « trafic de carburant subventionné » vers les pays étrangers. Le Ministre libyen a d'ailleurs exigé la rétrocession de ces cargaisons.
M. Siala a rejoint M. Salamé quant à la nécessité d'améliorer la gestion des actifs libyens gelés, ce dernier plaidant pour qu'ils ne soient pas dilapidés pour « les générations futures ». Le Ministre libyen s'est félicité à cet égard des pourparlers engagés par la MANUL auprès du Conseil de sécurité en vue de parvenir à une levée du gel de ces avoirs, et donc de pouvoir enrayer leur perte.